Il fait noir. Pas un bruit. L’écho du silence résonne en moi. Le souffle du velours parcourt mon bras. Un courant d’air. Un tressaillement. L’impatience est à son comble. Il fait bon. Il fait froid. Un peu humide semble-t-il. Quelque chose en moi frémit au contact de cette odeur confinée de poussière rouge. Je me rassure. Je m’encourage. Ça va être à toi.

Je sens soudainement l’enfer brûlant s’ouvrir sous mes pieds nus. J'avance alors, fébrilement. Le sol colle, craque et croule sous mon poids. Je ne sens bientôt plus que cette main invisible qui me soulève. Je suis comme crochetée par les entrailles. À présent, il fait chaud. Il fait trop chaud. Je suffoque, je n’en peux plus. Je m’arrête. Coup de projecteurs. Figée, je flotte dans cette atmosphère âpre, impitoyable, épaisse. Je sens mon cœur battre dans mes tempes, ma gorge, mon ventre, mes jambes. Puis, un son émane des profondeurs de mon âme. De mon être. Ou d’ailleurs peut-être. Mais qu’importe, il me transporte. Je ne lutte pas. Mon corps bouillonne, tourbillonne et virevolte. Éblouie par le bruit, abasourdie par la nuit, mes sens s’emmêlent sans cesse. Je m’étire, puis me rétracte, je m’envole, puis je m’écrase. Sulfureuse harmonie entre élan et mélodie. Plus rien n’existe, plus rien n’a de sens. Tout n’est qu’extase et euphorie. Je ne sens plus la dureté du sol qui vient frapper mon épaule, chaque impulsion peut, à tout moment, insolemment, violemment, dangereusement, me propulser dans le vide. Je te regarde, public, mais je ne te vois pas. Je te sens, à travers cette lumière blafarde. Je t’imagine. Tu me fascines. Regarde-moi. Préparation. Écoute-moi. Pirouette. Délivre-moi. Grand jeté. Plus aucune pensée ne me traverse désormais. Je serais bien incapable de les accueillir, tant je suis submergée par ces émotions. Je pleure, je ris, j’ai peur, je crie. Je cours, je saute, je vis puis me raidis. C’est fini.

Sous le tonnerre de tes applaudissements, je me retire, à bout de souffle, et regagne mon refuge, vidée par l'orchestre enragé. Je reste là, un moment, plantée dans les coulisses de ma vie. Quelques secondes plus tôt, prise au piège au milieu de cette douce spirale infernale, je ne contrôlais plus rien, et cela me procurait un grand bien. Je viens de voir défiler une éternité. Et pourtant, je me retrouve déjà là, encore là, au point de départ. Mais qu’est-ce que j’ai manqué ? Je me retiens pour ne pas y retourner. C’est comme ça. Je caresse une dernière fois le velours de ce rideau majestueux qui m’a tant effrayée auparavant, puis, machinalement, je rejoins la troupe.

 

© Marion Enin

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